wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

Un rapport bancaire annonce des orages financiers

par Nick Beams
10 juin 2000

À la lecture du dernier rapport annuel de la Banque des Règlements Internationaux sur l'état de l'économie mondiale et du système financier international, on ne peut s'empêcher de se rappeler un passage célèbre du Manifeste du Parti communiste.

« Les relations bourgeoises de production et d'échange, écrit Marx, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées. »

Après 140 pages d'analyse des tendances de la croissance, de l'état des marchés financiers, des conditions des soi-disant « marchés émergents » et des relations financières entre les principales puissances capitalistes, la BRI, parfois appelée la banque centrale des banquiers centraux, admet qu'elle ne sait pas où le prochain orage financier éclatera, et encore bien moins comment le prévenir.

« Durant les années 30, lit-on dans la conclusion du rapport, des faillites financières avaient sérieusement amplifié le ralentissement économique dans de nombreux pays industriels et entraîné un durcissement marqué de la réglementation régissant l'activité financière. La période de l'après-guerre a été le théâtre d'une libéralisation progressive, à mesure que les difficultés antérieures s'estompaient dans les mémoires et que les avantages potentiels liés à des marchés plus libres apparaissaient évidents. Toutefois, la répétition de crises financières au cours des trois dernières décennies, tant dans les pays industriels que dans les économies émergentes, a de nouveau focalisé l'attention sur trois questions. Comment éviter les crises ? Comment mieux les gérer ? Comment les résoudre, notamment par une réduction de l'endettement ? Pour chacune de ces questions, les progrès ont été substantiels mais restent minimes par rapport à l'ampleur de la tâche à accomplir. Sur certains aspects, aucun consensus international n'a encore été trouvé autour de politiques raisonnables. De plus, dans presque tous les cas, les difficultés pratiques liées à la mise en application des propositions convenues demeurent considérables. »

Comme si elle voulait expliquer la confusion générale des cercles financiers dirigeants, la BRI déclare : « L'impression générale donnée par l'économie mondiale est qu'elle se trouve à un point critique mais que l'avenir manque de direction. »

Alors que le ton est plutôt optimiste tout au long du rapport lui-même (les taux de croissances sont en progression, les effets de la crise asiatique sont chose du passé, les orages financiers des deux dernières années ont été réglés), la BRI lance l'avertissement que c'est cet optimisme même qui pourrait bien être la source des problèmes.

« Paradoxalement, peut-on lire dans l'introduction, l'histoire nous a maintes fois montré que l'optimisme même le mieux fondé avait une insidieuse tendance à se muer en excès. Ce risque de dérive a semblé se confirmer au cours de la période sous revue. »

Il est révélateur qu'on ne trouve pas la source de ces dangers dans les « marchés émergents », mais plutôt dans les relations entre les deux plus grandes économies, les États-Unis et le Japon.

Selon le rapport, « il était troublant de constater que les diverses forces économiques et sociales à l'oeuvre paraissaient présenter une corrélation inhabituelle. Aux États-Unis, par exemple, l'augmentation des cours des actions (en particulier dans le secteur de la haute technologie) a gonflé le patrimoine des ménages et facilité le financement des entreprises, ce qui a contribué à accroître respectivement les dépenses de consommation et l'investissement. La progression de la demande et le renforcement de l'intensité en capital se sont traduits concrètement par des gains de productivité, ce qui a conforté l'optimisme au sujet des bénéfices attendus, alimenté la hausse des cours des actions, et ainsi de suite. Il est évident que de tels processus cumulatifs peuvent accentuer les fluctuations sur les marchés financiers ainsi que dans l'économie réelle, surtout s'ils sont amplifiés par des modifications de change.

« Une autre raison de tempérer l'optimisme tient au fait que nombre de déséquilibres et de carences structurelles, caractéristiques de l'économie mondiale pendant les quelques années antérieures, n'ont pas donné le moindre signe d'amélioration. En fait, à certains égards, la situation aurait même empiré. Au premier rang de ces déséquilibres figurait l'écart sans précédent entre le taux exceptionnellement élevé de l'épargne privée au Japon et son niveau exceptionnellement bas aux États-Unis. Si l'impact de ces situations extrêmes a pu être atténué par les modifications des positions budgétaires, au prix cependant d'une forte détérioration des finances publiques au Japon, les amples déséquilibres des paiements courants n'ont pas disparu et comportent des risques pour les cours de change. »

Aux États-Unis, la dette publique a diminué au même moment qu'a augmenté la dette privée, à la fois celle des consommateurs et des entreprises. La balance des paiements a atteint des niveaux records et la dette internationale se chiffre aux environs de 1,9 billion (mille milliards) de dollars, ce qui représente 20 % du produit intérieur brut.

Au contraire, la demande au Japon a diminué, l'épargne a augmenté et le pays continue à connaître un surplus de la balance des paiements. La dette publique, toutefois, a grimpé à des niveaux qu'elle n'avait jamais atteints à cause de tentatives répétées de stimuler l'économie, tentatives qui ont d'ailleurs échoué.

Ces deux tendances (la descente des États-Unis dans l'endettement et l'augmentation des dépenses publiques au Japon) ne peuvent pas continuer à long terme. Mais les États-Unis et le Japon sont coincés dans leur dépendance mutuelle. Les États-Unis requièrent la grande épargne des Japonais (ce qui oblige le gouvernement japonais à accroître ses dépenses à cause de la stagnation de l'économie qui s'en suit) s'ils veulent financer leur balance commerciale qui elle ne cesse de grandir. Le Japon de son côté a besoin des grandes dépenses des États-Unis (ce qui y entraîne l'accroissement de l'endettement) pour son marché d'exportation.

Cette relation a été l'objet d'inquiétudes croissantes quant à l'instabilité du système financier mondial. Comme le financier international milliardaire, George Soros, l'a récemment prédit, le prochain orage financier proviendra probablement des rapports entre les principales monnaies.

Et comme l'a noté le commentateur économique du Financial Times, Martin Wolf, dans sa chronique du 6 juin : « Les États-Unis et le Japon sont, en fait, comme un couple dépareillé, les deux dépendant en partie du comportement insoutenable de l'autre. Les États-Unis ont besoin des excès de l'épargne japonaise, tout autant que le Japon a besoin des excès de la demande américaine. Il est possible de se sortir de cette dépendance mutuelle sur les excès de l'autre. Mais si les ajustements aux États-Unis étaient mal gérés, ou devenaient incontrôlables, l'avenir pourrait devenir assez chaoteux pour les deux. Très vite, les gens pourraient se rendre compte que la seule chose encore pire qu'une demande insoutenable aux États-Unis et que le déficit extérieur qui en résulte est sa disparation trop rapide. »

Un des scénarios actuellement envisagés est la possibilité d'une diminution rapide de la valeur du dollar américain. Comme la BRI l'a notée dans la conclusion de son rapport : « La vigueur du dollar EU semble également aller au-delà de ce qui est compatible avec la stabilisation des ratios d'endettement extérieur à long terme. »

Étant donné l'ampleur qu'a donnée aux flux de capitaux la croissance des marchés boursiers dernièrement, « la possibilité d`un ajustement simultané sur les deux marchés peut sembler plus grande que ne l'indiquent les corrélations historiques. » En d'autres termes, alors que la croissance du dollar et le boum du marché des actions ont contribué à assurer un flux entrant de capitaux, cette tendance pourrait s'inverser, un déclin de la valeur du dollar entraînant un ralentissement sur le marché des actions, ce qui provoquerait un nouveau retrait des capitaux et un autre diminution de la valeur du dollar.

Jusqu'à maintenant, en dépit d'une balance des paiements toujours plus déficitaire, la valeur du dollar est demeurée élevée. Les fonds d'investissement internationaux ont été attirés vers les États-Unis par le boum boursier et les possibilités de profit que procurait l'investissement dans les nouvelles technologies.

Mais la nature mondiale de l'investissement et de la concurrence du capital pourrait bien entraîner une inversion du flux des fonds d'investissement. C'est cette possibilité que soulevait le Financial Times le 5 juin : « La suprématie américaine dans le secteur de la nouvelle économie a permis de soutenir le marché boursier ainsi que le dollar au cours des cinq dernières années alors que les investissements internationaux pleuvaient sur les Etats-Unis, ce qui explique le financement du boum de l'investissement. Mais tout cela est sur le point de changer. Les succès de l'économie américaine ne sont pas passés inaperçus et l'Europe ainsi que le Japon entreprennent toujours plus sérieusement de rattraper leur retard. »

Alors que les États-Unis continueront à avoir la position prédominante, d'une façon relative, leur suprématie sur le reste du monde aura tendance à diminuer.

« Tout ceci a deux conséquences importantes à long terme. La première est que la plus grande partie de l'investissement potentiel qui n'est pas encore engagé se trouve hors des États-Unis. La deuxième est la faiblesse du dollar. Malgré l'augmentation du déficit courant, le billet vert a jusqu'à ce jour été entraîné par les investissements étrangers massifs et les arrivées d'argent des portefeuilles. Alors que les investisseurs chercheront des possibilités de croissance plus profitable ailleurs, le dollar entrera dans une période de déclin structurel. »

Au fait de la possibilité d'une telle chute, et de l'impact dévastateur qu'il aurait sur l'économie américaine et les autres économies importantes, la BRI a noté qu'à l'avenir, « la difficulté la plus sérieuse pourrait venir d'un retournement brutal du dollar. »

Mais quel programme mettre en place ? Ici, la BRI, comme le magicien dépassé de Marx, admet que les responsables financiers, supposément en contrôle des marchés mondiaux, n'en ont aucun.

« En ce qui concerne la contribution des autorités de surveillance à un fonctionnement plus efficace des marchés, il convient de noter que l'atomicité de ces derniers tend à diminuer, ce qui les expose davantage à des comportements grégaires, surtout en période de tensions. Plusieurs éléments expliquent probablement cette évolution : concentration accrue des acteurs ; recours à des dispositifs communs de gestion des risques et de réglementation ; ciblage plus fréquent de références indiciaires et autres ; exploitation des mêmes informations en temps réel. Il est moins évident, cependant, de voir ce que les autorités pourraient faire à l'égard de ces tendances structurelles. Enfin, se pose la question la plus fondamentale d'entre toutes : pourquoi les marchés sont-ils portés à surréagir et ne parviennent-ils pas, en fait, à se discipliner ? Dans un monde idéal, ceux qui poussent les prix à s'écarter de leurs niveaux d'« équilibre » sont vite perdants dès qu'ils retrouvent leur valeur moyenne. Or, dans la réalité, ce n'est souvent pas le cas. Comme de tels phénomènes ont toujours existé, il est possible que des dysfonctionnements de cette nature soient simplement l'un des coûts à payer pour récolter les fruits d'un système économique fondé sur le marché. »

Venant d'une des institutions les plus importantes soi-disant en contrôle de l'économie capitaliste mondiale, il ne peut y avoir d'aveux plus clairs de la faillite historique et de l'entière irrationalité du système de profit et de son modus operandi, le « libre marché ».



 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés